Retour de restauration de "La Vierge aux prisonniers"

L'histoire de Bertille #2

J'ai l'immense plaisir de vous parler aujourd'hui d'une œuvre qui vient tout juste de faire son retour parmi nous au musée des Augustins. Confié aux mains expertes des restaurateurs Florence Meyerfeld et Jérôme Ruiz, le tableau « La Vierge aux prisonniers » peint au XVIIe siècle va bientôt retrouver sa place sur nos cimaises.

Plusieurs interventions ont été pratiquées : le remplacement du châssis, l’enlèvement des vernis oxydés, le dégagement des repeints et mastic. Les restaurateurs ont ensuite effectué les retouches picturales nécessaires pour combler les lacunes et reprendre des zones d'usure. Enfin, ils ont appliqué un vernis protecteur.

Curieuse de nature, ce « toilettage » pratiqué dans les règles de l’art a éveillé en moi l’envie d’en savoir plus sur cette œuvre. Je suis donc allée fureter dans nos archives. Je vous livre en un éclairage tout frais, le fruit de mes recherches.

En cliquant sur la photo ci-dessus vous accéderez à la notice de l'œuvre.

Que lit-on dans la documentation existante ?

La description du tableau dressée par le conservateur Ernest Roschach dans son catalogue1 de 1908 est savoureuse d’acuité. Je ne résiste pas à l’envie de la partager avec vous :

« La Vierge, vue de trois quarts, debout, à mi-jambes, tournée vers la gauche, vêtue d'une robe rouge, d'un manteau bleu foncé doublé de gris et d'un voile blanc, les yeux baissés avec une expression de pitié, le teint mat, tient debout contre sa hanche droite l'Enfant Jésus, blond, couronné d'une auréole lumineuse, une légère draperie blanche autour du corps, le visage tourné et la main droite tendue vers une fenêtre fermée de forts barreaux de fer, où apparaissent, dans une ombre très noire, quatre têtes étagées de prisonniers suppliants : [..] Tous ces captifs, élevant les yeux vers le groupe divin, le contemplent avec une ardente expression de foi ».

J’imagine que vous visualisez bien mieux la scène.
J’entends d’ici, mais qui diable a bien pu exécuter ce tableau ?

Ce que je peux vous dire avec certitude c’est qu’il date des années 1630 et qu’il était accroché au-dessus de la porte du Grand Consistoire du Capitole de Toulouse, là où les Capitouls toulousains jugeaient les causes civiles et criminelles.

Mais qui l’a peint ? Oui, oui, j’y arrive…

Cette œuvre a longtemps été attribuée à Jean Chalette (1581-1644), peintre officiel des Capitouls avec plus de 760 portraits municipaux à son crédit. Mais cette filiation apparait ténue, fragile. 

Au début des années 2000 que lisait-on à propos de cette paternité ?

L’ancien conservateur du musée des Augustins Axel Hémery écrivait dans un catalogue 2 édité par le musée en 2001 : « [..] une seule œuvre de Chalette peut être qualifiée de caravagesque. C’est l’étrange "Vierge aux prisonniers" du musée des Augustins de Toulouse, qui correspond tellement peu à ce que l’on sait de l’artiste que l’on s’appuie sur une tradition toulousaine ancienne et solide pour soutenir cette attribution ».

Un peu plus de vingt ans après cette parution - nous sommes durant l’hiver 2022 - une nouvelle proposition émise par Gianluca Forgiane, professeur à l’université de Naples, attribue la toile à Giovanni Bernardo Azzolino, un peintre né à Cefalù en Sicile en 1572.

Dans une édition scientifique 3 l’expert transalpin réagit à la référence faite à Chalette qui est « basée uniquement sur des sources locales » et « établit des comparaisons pour corroborer la paternité en faveur du maître sicilien […] Le visage de la Vierge… la ressemblance de l’enfant… les visages des prisonniers aux profils aigus et aux yeux en amande rappellent des physionomies, des typologies utilisées au cours de sa longue carrière dans de nombreuses autres compositions napolitaines et siciliennes […] ».

Chalette ? Azzolino ? Je ne sais plus trop quoi penser... Ou plutôt si, que l'histoire de l'art n'est pas une science exacte, figée dans du formol mais bel et bien une matière vivante qui n'a pas fini de nous surprendre, de nous interpeller.

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Bibliographie /

1 « Catalogue des collections de peinture du musée de Toulouse dressé par Ernest Roschach » - Librairie Edouard Privat, réédition 1920

2 « Nicolas Tournier, un peintre caravagesque 1560- 1639 » – Musée des Augustins, Somogy Editions d’art, 2001

3 « Studi di Storia dell’Arte » Novembre 2022